Séance du 11 janvier 2010
Choisir un jeu. Ça peut être un jeu de cartes, un jeu de société, Colin-maillard ou World of Warcraft…
Composer une histoire avec des personnages qui jouent à ce jeu. Les éléments de l’intrigue qui se tisse entre les personnages peuvent filtrer au travers du jeu ou du comportement des joueurs, au fur et à mesure de la partie. Le récit s’achemine vers la résolution d’une tension ou la révélation d’une vérité.
La règle de cet exercice d’écriture dépend finalement étroitement de la règle du jeu choisi.
Sept lettres
« ECRIRE. E-C-R-I-R-E ; mot compte double ; 12 points », lança Paul, sobrement.
– « Pas mal ! », ajouta Virginie, enthousiaste.
– « Merci, mon cœur », renchérit Paul.
Ces deux là étaient d’accord, comme toujours. Ils souriaient continuellement, ne cessaient jamais. On aurait dit qu’ils tournaient en permanence une réclame pour une marque de dentifrice. Leur joie de vivre m’éclaboussait de toute sa guimauve.
« AMOUR », lança à son tour Virginie. « Grâce à ton R, mon chéri ! »
– « Mais de rien, mon bichon ! », répondit Paul, poliment.
– « Merci, vraiment, mon biquet. Et voilà ! Quelques points en plus ! Je prends la tête ! », conclut-elle.
Ça, pour la prendre, elle la prenait, la tête. Et avec la manière !
Je regardais Nadine, assise à mes côtés, silencieuse, remuant ses lettres, le regard vague, presque idiot. Je ne la détestais pas, non, ce n’était pas ça. Il m’était même arrivé un jour de tomber amoureux d’elle. Jusqu’à l’épouser.
Elle continuait à remuer les lettres sur son chevalet, lentement, avec une minutie ridicule. Le petit sablier, sur la table, égrainait des secondes d’une régularité sans faille. Enfin, au terme de la minute réglementaire, elle accoucha :
« KIWI ! Mot compte triple… ce qui me donne… hmm… vingt-deux fois trois… ce qui me donne soixante six points, il me semble ! » dit-elle péniblement.
– « Bravo Nadine ! », s’écria Paul.
– « Tu nous as soufflés ! Bravo ! », appuya Virginie.
Tous trois posèrent alors sur ma personne des yeux inquisiteurs. Un court silence s’installa, puis se mit à durer. Enfin, après un temps, pour ne pas les décevoir, je balbutiai un « oui, pas mal » sans grande conviction, mais qui sembla contenter l’attente de mes trois juges.
La partie reprit, les mots défilèrent, au rythme des niaiseries que s’échangeaient inlassablement Paul et Virginie. Pour ma part, j’engloutissais cafés sur cafés, pour ne pas avoir à leur faire la conversation. Je me contentais, de temps à autre, d’acquiescer. J’avais à ce sujet mis en place un système très rigoureux, une sorte de barème, qui commandait l’intensité de mes muettes approbations. Lorsqu’un mot ne dépassait pas la barre des dix points, je ne souriais pas. Si son score oscillait entre dix et trente points, mes lèvres daignaient s’élargir d’environ trente pour cent de leur taille. Enfin, pour chaque coup porté au-delà des trente points, je consentais à laisser apparaître quelques unes de mes dents, lesquelles commençaient peu à peu à jaunir.
Vers minuit, les lettres se firent rares, la « pioche » avait été vidée de son providentiel contenu. La partie prit soudain des accents de compétitions. Les deux nigauds d’en face ne se complimentaient plus avec la même énergie, mais tachaient malgré tout de conserver l’indéboulonnable sourire crétin qui était rivé à leur visage. Virginie me devançait d’une cinquantaine de points, Paul la talonnait, naturellement, et Nadine, en dépit de son exploit de début de partie, végétait à ma gauche, et dans les tréfonds du classement.
Vint mon tour.
L’attention se fixa à nouveau sur moi, toute entière. Alors, l’haleine chargée de caféine, une envie d’uriner me tenant le bas-ventre, j’annonçais, en pesant bien sur chaque lettre, un imparable «DIVORCE, D-I-V-O-R-C-E».
« Scrabble », la partie était jouée.