Atelier de nouvelles – Proposition d’écriture n°1
Objectif: découvrir et mettre en œuvre la structure de la nouvelle narrative
Plan: 1) les techniques – la tension; 2) un exemple – La Métamorphose; 3) la consigne d’écriture.
1) LES TECHNIQUES D’ÉCRITURE – LA TENSION
La nouvelle narrative repose sur la tension.
Écrire une nouvelle, c’est d’abord réussir à donner au lecteur l’impression que le texte « tient debout », n’a besoin d’aucun autre développement. Si on analyse la pratique des grands auteurs, on voit que le premier moyen pour cela est la structure, et tout particulièrement la structure par confrontation. Confronter deux éléments (à n’importe quel niveau du texte: trame narrative, mais aussi bien univers réel et fantastique ou visions du monde) crée une tension qui assure puissance, simplicité, stabilité. >>> Pour en savoir plus, lire le cours.
2) UN EXEMPLE – LA MÉTAMORPHOSE DE KAFKA
La Métamorphose de Kafka (https://www.ebooksgratuits.com/pdf/kafka_la_metamorphose.pdf) décrit les mésaventures de Gregor Samsa, un représentant de commerce qui se réveille un matin transformé en un « monstrueux insecte ». Comme tout récit de métamorphose, La Métamorphose de Kafka est structurée par l’antithèse entre l’identité du personnage avant sa métamorphose et ce qu’il est devenu. Claude Gandelman, dans Les techniques de la provocation chez quelques romanciers et nouvellistes de l’entre-deux-guerres, indique comment cette antithèse a été construite par Kafka, en commentant l’expression « cette vermine de Gregor Samsa »: « Chez Kafka, les métaphores du langage courant servent à faire accepter une ‘situation littéraire’ irréelle comme la chose du monde la plus normale, puisqu’elle existe déjà dans le langage. […] Seulement, chez Kafka, ces métaphores du langage sont prises littéralement et deviennent le destin même des hommes ».
3) LA CONSIGNE D’ÉCRITURE
En prenant une expression courante au pied de la lettre, imaginez une métamorphose dont vous ferez le récit en dix lignes.
Et publiez votre texte en commentaire à ce billet!
L’autre jour dans le tramway, une mémère à chienchien en caftan léopard croisa le regard d’un petit monsieur barbu tout de noir vêtu. Noyés dans l’aquarium de leurs culs de bouteille, les yeux de la vieille bique s’échouèrent vers le livre ouvert sur les genoux de son vis-à-vis. Elle a plutôt l’air d’un batracien, pensa le Rav Yohanan. Ce type ne ressemble à rien, se dit Violetta. ― Que lisez-vous ?, demanda-t-elle en bécotant son bichon. ― La Bible, répondit-il. ― Mais, ces pattes de mouches, ce n’est tout de même pas… ― Si si, madame, c’est de l’hébreu. ― Mon Dieu, ils l’ont même traduite en hébreu !, s’écria Violetta. Bénis es-Tu Éternel, murmura dans son cœur le Rav Yohanan, si seulement Tu pouvais donner forme et âme humaine à cette sorte de bête qui me fait face ! ― Oh mon bébé, mon petit bébé, susurrait-elle à l’oreille du toutou qui tout à coup se mit à vagir et à tendre vers elle des petits bras potelés. Sa frimousse de petit d’homme suscita l’effroi et du rabbin et de la mémère.
FICELÉ COMME UN SAUCISSON
La vitrine l’avait interpelé, alors qu’il était si pressé, avec ses débordements de boudins, de pâtés en croûte et autres morceaux de bidoche. Il fit claquer sa langue devant ces fleurs de plastique rouge et ces faux feuillages qui s’épanouissaient bêtement sur un baquet de saucissons. Il leva les yeux et considéra longuement le bonhomme qui débitait de la viande pour ses clients. Le large tablier rouge qui s’enroulait sur sa bedaine généreuse et sur son épaule, sa mine réjouie constellée de couperose, tout cela formait un spectacle insoutenable qu’avec courage, il se força à soutenir. Lui qui ne priait jamais, il s’entendit murmurer merci mon Dieu de m’avoir fait échapper à cette inhumaine condition. Derrière la vitrine, le charcutier leva sur lui ses petits yeux de poivre. Le passant sentit son sang lui monter aux joues. Il détourna la tête et reprit son chemin de son pas entravé, les genoux collés et les coudes plaqués contre le corps. La membrane était trop serrée, mais elle lui seyait bien mieux ainsi !
Sous les longs doigts habiles de Lydie, les fuseaux volaient comme de petits insectes impatients. Chaque soir, aussitôt les enfants couchés, le dîner débarrassé, son mari affalé devant la télévision, elle s’emparait de son ouvrage. Elle tressait des feuillages, des nervures, des rinceaux. Une Brugeoise autrefois lui avait enseigné l’art des passées, des demi-passées, des croisements en lisière. La dentelle était son plaisir. Pendant ces longues journées immobiles qu’elle consacrait à sa maisonnée, elle songeait aux moments solitaires et nocturnes où elle entrelacerait cygnes, fleurs, flocons de neige ajourés. La dentelle était son évasion, son oubli, son absinthe.
Son mari revint un soir, surpris de trouver la porte ouverte. La dentellière n’était pas là. Seule courait, sur le napperon tendu entre les bobines en étoile, une minuscule araignée.