Peut-on écrire une scène de drague non-toxique? C’est le défi que nous a proposé Julie Fleury lors de notre dernière séance, en marge des opérations « Harcèlement et violences : parlons-en ! » qu’elle a organisées au Pôle Lettres de l’Université.
Après les mouvements #metoo et les différentes présences féministes sur les réseaux sociaux et dans les médias, une question revient souvent de la part des sceptiques : mais alors, comment fait-on pour draguer ? Les garçons ne seront-ils pas tous paralysés par la peur de dire quelque chose de mal ? Au cours de la séance du 11 janvier, nous sommes d’abord remontés aux sources des mots « séduction » et « drague ». Partant de là, nous avons pris trois textes pour exemple qui ont permis de mettre à jour un langage guerrier, de chasseur ou de manipulateur très souvent associé à la séduction. Si la violence physique est, la plupart du temps, évacuée de nos rapports de séduction, la violence symbolique contenue dans ces mots (conquérir, pourchasser de ses ardeurs, abattre les résistances, manœuvrer…) est bien réelle. L’exercice du jour consistait donc à écrire une scène de rencontre entre deux personnages, en s’interdisant d’utiliser un certain nombre de mots, et de voir si, malgré cela, la séduction était possible. On retrouvera dans ce diaporama les éléments de réflexion et la liste des mots proscrits pour l’exercice.
Chaque internaute est bien sûr libre de tenter l’exercice, et de poster son texte dans la rubrique « Commentaires » ci-dessous.
– Ma chérie, je vois tout Mont-Saint-Aignan dans tes yeux… lui susurrait-il à l’oreille
– Tu es si beau, si fort… Prends moi dans tes bras… répondit-elle à mi-voix.
Si le garçon et la fille chuchotaient, c’est que la chambre du CROUS, étroite, se prêtait à l’intimité, mais beaucoup moins à la discrétion, étant donné les grincements du matelas et la finesse des cloisons. Il faudrait de la retenue, se dit le garçon, malgré tout satisfait de la tournure des événements. En arriver là n’avait pas été aisé. La fille était néo-féministe, woke à l’américaine, et même un peu cancelleuse sur les bords, pas question de l’emmener voir un Polanski à l’Ariel ou à l’Omnia. “Change-moi ce logiciel de macho !”, lui avait-elle lancé au temps de ses premières approches. Cela n’avait pas été facile. Pour réussir à la séduire, il avait fallu faire très attention au choix de ses métaphores, et même à celui de ses pensées. Il risquait à tout moment de se prendre un râteau. Se prendre un râteau. Ca allait, se dit-il, comme expression. Un râteau, c’est un instrument de jardinage. C’est bio. C’est écologique. ca passe. Il allait pouvoir conclure. Emballer. Faire catleya. Ah oui, pas mal, ça, faire catleya. C’est floral. C’est écoféministe. Proust était un prophète.
A ce moment précis, il vit briller une lueur dans les yeux de son amie. Une étincelle qui l’inquiéta. Cet abandon, ce lâcher-prise, ce n’était pas normal. Quelque chose n’allait pas. Il se sentait comme un lapin dans les phares d’une voiture.
– Attends ! dit-il en s’écartant, alors qu’elle commençait à dégrafer le premier bouton de son chemisier.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Tu es sûre que tu en as envie ?
– Ben oui, tu vois bien…
– Tu es consentante ?
– Mais oui, abruti
Il sortit son téléphone.
– Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle
Il alluma le smartphone, l’ouvrit, le lui tendit.
– “My Consent”… Mais c’est quoi ? demanda-t-elle.
– C’est très simple, tu signes avec ton doigt. Comme ça on sera bien sûr que tu es OK…
Quand la porte claqua violemment et que le type se trouva seul dans sa chambre des Pléiades, il se dit qu’il avait vraiment un problème avec les filles d’aujourd’hui
Ce soir, il le sentait bien. Alex était devant son miroir : chemise propre, presque pas froissée, baskets neuves. Il se préparait pour la soirée où Nico devait être présent. Ils étaient ensemble en cours d’allemand et il lui plaisait beaucoup : l’air sûr de lui, marrant, et carrément futé. D’habitude, Alex n’était pas très attiré par les intellos, mais il y avait un quelconque chose chez Nico qui l’intriguait. Bref, ce soir, il aurait enfin le courage de lui parler, il y croyait. Sur les conseils d’une amie, il avait acheté un soda au gingembre. Il ne voyait pas trop comment ça pourrait l’aider mais il voulait mettre toutes les chances de son côté. En arrivant chez Soraya, il était encore confiant ; mais en lui ouvrant la porte, elle avait bougé un peu le tapis de l’entrée. ça avait fait une toute petite bosse et Alex, évidemment, s’était pris les pieds dedans et retrouvé, en quelques secondes, affalé de tout son long dans l’entrée. « Couché, le grand séducteur » pensa-t-il amèrement. Il se redressa, s’épousseta les genoux pour se donner une contenance et refusa les soins que Soraya lui proposait. Il allait bien, physiquement. Et alors qu’il pensait son moral au plus bas, il aperçut Nico qui se penchait pour ramasser la bouteille de soda à ses pieds.
Alex avait le moral dans les chaussettes (assorties, pour une fois!) mais bomba le torse et s’avança. Foutu pour foutu, au moins il allait poser sa question. Nico le coupa dans ses élans et, lui tendant la bouteille, lui dit « Gingembre, hein ? Plutôt cool comme choix » avant de sortir pour se griller une clope. Cool. Nico l’avait trouvé cool. Lui ou le soda, Alex ne savait plus trop. En vrai, ça ne changeait rien : le soda cool était le choix cool d’un mec carrément cool ! Un mec carrément cool, planté là dans une entrée d’appartement et souriant au mur. Ouais, il fallait se reprendre et fissa. Malgré un faux air détaché, la soirée s’étirait en longueur et Alex n’arrivait jamais à discuter avec Nico. Il y avait toujours quelqu’un sur son chemin, une discussion passionnante sur le dernier « God of War » ou une photo à faire pour narguer quelqu’un qui n’avait pas pu venir.
Finalement, après son 5e verre de soda cool, Alex se rendit à l’évidence : il fallait arrêter de chercher Nico et songer sérieusement à trouver les toilettes. Le destin étant farceur, il trouva les deux simultanément : ils posèrent la main au même moment sur la poignée de porte et échangèrent un grand sourire. Alex, beau joueur malgré sa vessie au bord de l’implosion, lui céda galamment la place. En le voyant entrer dans les toilettes, Alex pensa « Ouais, je crois bien que je suis amoureux. » En sortant, Nico lui planta un baiser au coin des lèvres. Ce fut le pipi le plus court de la vie d’Alex, mais aussi le début de son histoire la plus longue.
Assis au café du coin, deux jeunes hommes discutaient. L’un est un danseur Allemand, plutôt doué, mais la danse n’est qu’un hobby pour lui. Son véritable rêve, c’est de voyager dans l’espace. L’autre est un violoniste Italien. Il est arrivé en Allemagne il y a quelques semaines, il veut voyager lui aussi, mais sur Terre. Ces deux là se sont rencontrés dans un théâtre, et l’Allemand avait proposé un rendez-vous autour d’un café. L’Italien avait accepté. Et ainsi, au café du coin, deux jeunes hommes discutaient. Enfin, ils ne faisaient pas que discuter. Ils riaient, gesticulaient et chantaient. Fort. Comme s’ils étaient seuls. Deux jeunes hommes discutaient au café du coin, jusqu’à ce qu’on les mette dehors. Dans la rue, l’Allemand pointa le ciel et dit « Moi, je veux voyager là-haut ! ». L’Italien répondit « Je voyagerais partout, si je suis accompagné par la bonne personne.
-As-tu trouvé cette personne ? demanda l’Allemand.
-Peut être » dit l’Italien avec un sourire en coin.
C’est ainsi que aller au café du coin devint un voyage.