Après le tour d’horizon des principes d’écriture scénaristique offert par Anna au cours des deux dernières séances, nous proposons ce mois-d’écrire un court récit inspiré par quelques-uns des principes régissant l’écriture d’une séquence :
- Unité de lieu et de temps
- Protagoniste cherchant à réaliser un désir
- Obstacles au désir (externes ou internes)
- Conflit avec un antagoniste construit selon le principe de la polarité (voir diaporama)
- Résolution du conflit
N’hésitez pas à proposer vos textes dans la section commentaires ci-dessous. Les exercices des mois précédents restent bien sûr ouverts.
Bon courage, et amusez-vous bien!
Pour la première fois depuis des semaines, Eva n’avait pas la boule au ventre avant de passer les portes du lycée. Elle se sentait même plutôt bien. La masse d’élèves qui entourait les portes de l’établissement ne l’effrayait pas, ni les regards que l’on posait sur elle et encore moins celui de Samantha qui la dévisageait des pieds à la tête. Eva n’avait pas changé, elle portait le même jean que la veille, les mêmes converses usées, s’était attaché les cheveux de la même façon mais elle avait dans sa démarche quelque chose de plus assuré, de plus naturel. Et les autres le remarquaient. Ça n’allait pas plaire à cette petite pute de Samantha, ses yeux nocifs comme l’acide lui promettait que cet excès de confiance n’allait pas durer. Eva s’en foutait. Tant pis, ma grande, tu ne m’enlèveras pas ça. Deux heures plus tôt, en ouvrant les yeux dans son lit, elle avait trouvé la solution. La solution pour qu’on lui foute la paix, pour qu’on la considère un peu, juste un peu. Elle était descendue de sa chambre où sa mère lui avait préparé un bon petit déjeuner bien garni. Eva s’était arrêté net. Elle n’avait pas cherché ses mots et avait lancé :
— Maman, je ne vais pas manger ça ce matin.
Madame Brode s’était retourné, et avait manqué d’avaler de travers son café au lait. Sa fille était peut-être malade, elle dormait mal depuis quelques jours, elle le savait puisqu’elle l’entendait parler la nuit. Elle posa les yeux sur la table. Tout était parfait pourtant, le Nutella était sorti, les pains au chocolat étaient frais, les Frosties étaient là aussi et elle avait même pressé un jus de fruit. Pas manger ? Non, ce n’était pas possible.
— C’est tout ce que tu aimes ma chérie, tu es malade ?
— Non maman, je vais très bien mais je ne veux plus manger ça le matin.
— Comment ça, tu ne veux plus ? C’est ce que tu as toujours mangé.
Eva soupira légèrement. Elle n’était pas d’humeur à tout raconter à sa mère, à lui expliquer ce qu’elle avait décidé. Elle ne comprendrait pas et c’était normal puisque jamais Eva n’avait renoncé à une tartine de Nutella. Jamais. Même malade, c’était la seule chose qui passait. Elle en avait envie pourtant, elle s’imaginait croquer le pain frais recouvert de cette pâte visqueuse, appréciant chaque bouchée comme si c’était la dernière, la laissant recouvrir ses dents et sa langue. Elle aurait presque pu sentir l’odeur de la noisette parfaitement assemblée au cacao. Heureusement, le pot n’était pas ouvert. Elle aurait craqué sinon. Elle balaya ces pensées malsaines, prit un fruit et sortit de la maison sans donner davantage d’explication à sa mère qui la regardait, vraiment inquiète.
Eva se sentait nettement mieux depuis qu’elle avait pris cette résolution. Ça paraissait tellement simple, ça prendrait du temps mais ça marcherait, c’était sûr. Manger équilibré et faire un peu de marche tous les jours allaient devenir son quotidien. Et puis, s’il le fallait, elle commencerait même le footing, ou la muscu ! Elle avançait dans la cour, l’esprit libéré, presque envahie par une euphorie délicieuse. Elle allait changer ! Elle allait devenir quelqu’un d’autre, enfin ! Et la solution était là, devant elle depuis toutes ces semaines. Elle approchait de la porte vitrée qui donnait sur le hall. Quelque chose grandissait et grossissait en face d’elle. Elle faillit s’arrêter de marcher, s’arrêter et se retourner. C’était elle là-bas qui avançait ? C’était elle cette masse informe qui approchait péniblement ? Non, impossible. Une masse oui, bien large, bien dégueulasse avec une peau tombante de tout côté. Une sournoise boule s’immisça dans son ventre. Ce n’était pas elle. Ce n’était pas à ce point. Elle avait beau essayer de se rassurer, de se dire qu’elle n’était qu’à la première journée de sa résolution, voir son corps de si loin et de si près, ce corps, qu’elle supportait depuis des années, lui donna la nausée. Et une envie de pleurer toutes les larmes qu’elle avait enfouies. Il fallait qu’elle tienne, qu’elle ne laisse rien voir, surtout pas devant sa classe. Il n’était que huit-heures moins cinq, le cours de sport allait bientôt commencer. Elle serait dans les vestiaires avec les autres à montrer un corps qui lui répugnait. La muscu et toutes ces conneries sur le sport s’envolèrent.
***
— Regarde ce que j’ai acheté hier soir, le tout était soldé.
— ça te fait un beau cul, ton mec va aimer.
Rires. Eva écoutait sans lever les yeux. Elle était assise sur le banc des vestiaires, son jogging et son t-shirt en main. Il ne lui restait que cinq minutes pour se changer. Pendant que les autres s’aspergeaient de déodorant, son regard ne décollait pas du sol. Elle leva les yeux vers Lucie qui se tournait et se retournait pour faire admirer ses nouveaux sous-vêtements. De la dentelle, de la couleur et tout le reste. Elle était belle, le corps parfait, les jambes fuselées, la poitrine généreuse. Avec un corps pareil, tous les mecs étaient prêts à sortir avec elle. Pas étonnant. Elle aussi, elle aurait bien aimé avoir ce corps, avoir cette popularité. Mais y avait un problème et pas des moindres. C’était ces foutues cuisses qui ressemblaient à deux poteaux électriques, à deux tronc d’arbres avait un jour dit son père alors qu’elle s’apprêtait à dévorer un éclair à la pistache. Depuis elle ne pouvait plus en avaler un. Terminés, dégagés, les éclairs. Même sur le banc, ses jambes prenaient presque deux places. Et c’est pas avec les snickers que sa mère avait traîtreusement mis dans son sac que ça allait s’arranger.
— Hé, la barjot, t’es en train de mater ?
Tous les regards s’étaient tournés vers elle et elle sentit son estomac faire un bond dans son ventre généreux. Une dizaine de paires d’yeux la considéraient, certaines la regardaient de haut en bas avec une moue de mépris.
— Non, je… j’aime beaucoup tes fringues aussi.
Lucie sourit très légèrement, sans doute flattée.
— Arrête un peu, c’est pas la première fois que tu lui mates le cul, je t’ai vue le dernier coup.
Samantha se tenait à côté d’elle, elle était moins belle que Lucie, nettement moins belle, elle avait des boutons sur la tronche. Et elle aimait foutre la merde. Sa spécialité : rallumer un brasier lorsque le vent était tombé.
— T’es gouine ?
Si Eva avait pu analyser son estomac à cet instant, elle y aurait sûrement vu un trou, grand comme l’orifice que laisse une balle de revolver. Samantha la mitraillait et elle n’était pas à cours de munitions. Un silence tomba dans les vestiaires. Eva devait répondre quelque chose, n’importe quoi car ce silence pesant commençait à devenir suspect. Elle sentait ses joues prendre feu, il fallait que cette emmerdeuse la ferme.
— Je regardais ses fringues c’est tout.
— Je m’en fous, t’es gouine ou pas ? On s’en fout si tu lèches des chattes, mais le cul de Lucie, t’es pas prête de l’avoir.
Éclats de rires. Eva bondit du banc prête à tordre le cou de cette vipère.
— Fous-moi la paix !
Samantha recula, pendant une seconde la surprise déforma son visage. Eva, en plus d’être charpentée mesurait un bon mètre soixante-quinze, de quoi impressionner une roussette d’un mètre soixante tout juste. Elle se ressaisit rapidement avec un sourire de mépris. Eva n’était toujours pas changée et elle espérait qu’elles dégageraient toutes vite-fait pour enfiler sa tenue.
— Qu’est-ce que tu attends pour te changer ? Tu mates les autres mais nous on n’a pas le droit, c’est ça ? Tu faisais la fière ce matin devant le lycée. T’as rien à montrer ? Même avec les fringues de mon père on verrait ce qu’il y a là dessous.
Eva se sentait piégée. Elle ne pouvait plus attendre, la prof était pas tendre, alors si elle arrivait en retard… Elle se retourna, les larmes aux yeux et retira son haut. Son ventre lui faisait toujours mal, il n’y avait pas un bruit dans la pièce, seulement le glissement de ses vêtements. Elle cacha ses formes du mieux que le put pour laisser son corps le moins visible possible.
— C’est pas avec ce cul que tu vas plaire, même aux gonzesses, les régimes tu connais ?
Les mots de Samantha, c’était recevoir une belle gifle en pleine figure. Et le rire des autres, une deuxième, bien placée, là où ça fait le plus mal. Quelques-unes ne riaient pas, Julie par exemple mais elles avaient trop la trouille pour oser dire quoi que ce soit. Lucie n’avait qu’un léger sourire, Eva ne savait pas si elle approuvait les dires de la diablesse mais elle n’avait en tout cas pas assez de cran pour lui faire fermer sa gueule. La bande sortit et Eva put respirer de nouveau, elle remontait à la surface. Elle regarda ses jambes et se retourna devant le miroir. Elle attrapa violemment et tira la peau de ses fesses. Les traces blanches de ses mains apparurent sur sa peau puis disparurent aussitôt. Samantha était une sacrée salope mais une chose était sûre, c’est qu’elle avait raison.